Les dérives des lives de voyance sur TikTok : notre enquête choc
Un prénom s’affiche dans le chat. Une rose virtuelle s’envole. Une voix s’improvise prophétique : « Je ressens son énergie, il pense encore à toi. »
Sur TikTok, chaque jour, des centaines de créateurs se transforment en médiums improvisé. Ils tirent les cartes à la chaîne, délivrent des messages instantanés et récoltent des “gifts”; ces cadeaux numériques convertis en argent réel. En apparence c’est ludique, en réalité, c’est un marché de la solitude. Chaque jour, nous avons recensé entre 300 et 600 lives de “voyance/tarot/guidance” en France. Un volume industriel, avec un pic entre 20 h et 1 h du matin.
La voyance, autrefois rencontre entre deux consciences, se vide peu à peu de sa substance. Et derrière ces lives une dérive s’installe : celle d’une “voyance fast-food”, qui promet des réponses express à des cœurs en détresse.
Ce théâtre obéit à une véritable économie du like : la captation émotionnelle remplace l’écoute, l’algorithme récompense le contenu qui retient le plus longtemps, pas sa véracité.
Comment en est-on arrivé là ? Derrière cette illusion d’interaction se cache un système bien rodé, où la vulnérabilité des uns nourrit la visibilité des autres. Le problème n’est pas l’outil : c’est l’usage qu’on en fait.
Un prénom, une promesse : la voyance 2.0 a envahi les écrans
Tout commence souvent par une phrase anodine : « Note ton prénom dans le chat, je te dis ce que je ressens. ( sous réserve de cadeau choisi par le pseudo médium ) »
En quelques secondes le voyant du live se penche sur ses cartes, ferme les yeux, et prétend capter des vibrations. Pas de voix, pas de regard, même pas une photo. Rien qu’un mot écrit parmi des milliers d’autres dans un chat saturé.
Scène de live. 21 h 12. Le compteur affiche des centaines de spectateurs. « Prénom + initiale, je te dis ce que je ressens », répète l’animatrice. Une rose apparaît, elle retourne une carte en deux secondes : « Je ressens un retour, c’est imminent. » Un cœur : « Tu doutes, mais l’univers confirme. » Un lion : « Je te fais un tirage complet si tu renvoies. »
Les prénoms défilent trop vite ; les réponses se ressemblent toutes. Le scénario ne change pas ; seules les victimes défilent.
La ficelle est connue : affirmations universelles, temporalités floues, lettres devinées, promesses conditionnelles. Ce n’est pas de l’intuition : c’est de la lecture froide, emballée dans une esthétique mystique de façade. L’émotion sert de preuve, alors qu’elle n’est que le produit.
Comment “sentir” quelqu’un de cette manière ? Comment prétendre lire une destinée sans avoir entendu le timbre d’une voix ou perçu la moindre émotion ? C’est pourtant ce que des centaines de créateurs font chaque jour sous couvert de spiritualité.
Leur discours se veut bienveillant, mais leur méthode est une parodie. Les cartes deviennent décor, l’intuition devient décoratif. Et les spectateurs souvent jeunes confondent spectacle et guidance.
La promesse est séduisante : on pose une question, on obtient une réponse sans effort sans engagement. Mais cette facilité a un prix : celui du sens. La voyance est vécue comme une consommation rapide. Souvent le plus grand « don » de l’animateur est sa capacité à « tenir le live »
Le business des émotions rapides
Derrière ces lives apparemment innocents se cache un système bien huilé : celui des “cadeaux virtuels”. Chaque rose envoyée, chaque emoji offert, rapporte quelques centimes à son destinataire.
Les plus habiles transforment ce mécanisme en véritable économie de la croyance : “Envoie une rose pour une carte, un lion pour une réponse complète.” Le message est clair : plus tu paies, plus tu existes.
Combien ça vaut ?
Derrière la légèreté des cadeaux virtuels se cache une vraie tarification implicite.
Selon les observations faites sur plusieurs soirées, le prix d’une question varie entre 3 € et 12 €, selon le type de gift envoyé.
Les spectateurs n’ont jamais l’impression de “payer” : ils offrent des symboles.
Mais pour le créateur, ces symboles se convertissent en argent réel. Chaque gift devient une micro-transaction.
Au final, un seul live actif peut générer plusieurs centaine d’euros en quelques minutes.
Commission plateforme : estimée entre 50 % et 77 % selon plusieurs enquêtes (Wired, Guardian, FXC Intelligence).
Autrement dit : une rose ne vaut presque rien, mais dix mille roses font un pactole. Entre les deux, TikTok prélève sa part.
Quand la détresse devient un algorithme
Cette mécanique crée une hiérarchie invisible entre les spectateurs. Ceux qui n’ont rien à offrir deviennent invisibles. Ceux qui payent espèrent une parole, une attention, un signe. Et l’algorithme, friand de cette interaction marchande, récompense les flux les plus lucratifs : plus de dons, plus de visibilité, plus de clients potentiels.
Un ancien créateur, sous anonymat, confirme : “J’ai commencé pour partager ma passion. Mais très vite, on m’a dit : si tu veux être vu, il faut des gifts. C’est devenu une compétition. Si je ne remerciais pas assez vite, les gens partaient.”
Il a quitté TikTok après six mois, “épuisé par la pression de devoir faire croire qu’on ressent tout, tout le temps.”
Plus le live monétise, plus l’algorithme le promeut, une vraie manipulation algorithmique qui boucle la dépendance. La plateforme ne juge pas la vérité : elle mesure la durée L’algorithme sait quand ils reviennent : plus ils regardent, plus il leur repropose les mêmes visages. Un piège invisible qui transforme la curiosité en habitude, l’habitude en dépendance.
Sous couvert de guidance on assiste à une marchandisation pure et simple de la détresse. Les émotions deviennent des unités de profit ; l’intimité, une monnaie d’échange.
Les jeunes y perdent leur discernement, persuadés d’être compris, alors qu’ils ne sont que des lignes de chiffres dans un flux monétisé.
Le plus inquiétant, c’est qu’en banalisant ces pratiques, on rend la manipulation acceptable, presque normale.
Scénarios de dépense mensuelle
- Profil “occasionnel” : 3 € à 6 €/mois (quelques roses par soir).
- Profil “régulier” : 8 € à 12 €/mois (petits gifts fréquents).
- Profil “impulsif” : 25 € à 35 € sur une soirée.
Un plein d’essence, au bout de quelques semaines de croyance.
Qui tombe dans le piège ? Souvent, une adolescente isolée qui guette un signe d’amour au milieu du bruit. Parfois, une femme en rupture happée par la promesse d’un “retour”. Plus largement, tous ceux que la nuit rend plus fragiles et que l’algorithme sait retrouver.
Derrière cette économie bien rodée se cache une autre conséquence, plus invisible et plus grave : les blessures psychologiques qu’elle laisse derrière elle. Ce qui se voit, ce sont les dons ; ce qui reste, ce sont les dommages.
• Temps de communication limité
• Peut impliquer un temps d'attente si l'expert est déjà en ligne
• Minutes de communication prélevées sur facture téléphonique
Quand le rituel devient business : la face cachée des “retours d’affection”
Selon une observation menée en novembre 2025 et confirmée par Envoyé Spécial (France 2, 30 octobre 2025),
près d’un tiers de ces flux promettent un « retour d’affection garanti » à 15, 30, voire 200 euros le rituel.
Derrière les bougies et les cartes, 90 % seraient des arnaques pures, d’après la DGCCRF,
qui a fermé 48 comptes en 2025 pour publicité mensongère et abus de faiblesse (rapport du 15 octobre 2025).
Certaines de ces pratiques franchissent la ligne rouge :
“Retour de l’être aimé”, “désenvoûtement”, “travaux de magie blanche” autant de promesses interdites en France par le Code de la consommation (art. L121-1) et le Code pénal (art. 223-15-2). Pourtant, elles pullulent sur TikTok.
Dans une enquête diffusée par TF1 dans Sept à Huit (28 septembre 2025), trois “voyantes stars” ont été filmées en caméra cachée : elles improvisent tout, rient après le live et empochent jusqu’à 18 000 € par mois.
Le Journal de 20h (12 mars 2025) rapporte également le cas d’une retraitée ruinée de 320 000 €
pour un “travail d’amour” fictif.
Une autre victime, Élodie, 22 ans, témoigne : “Au début, c’était un jeu. Puis j’ai commencé à attendre ses lives tous les soirs. J’envoyais des roses, des cœurs… Je voulais qu’il me voie, qu’il dise mon prénom. En deux semaines, j’avais dépensé près de 80 euros sans jamais obtenir plus qu’une phrase vague.”
Ces “retours d’affection” ne sont pas seulement une escroquerie affective, c’est une industrie du mensonge, calibrée pour exploiter la détresse.
Parler aux morts, le business qui ne connaît plus de limite
Pire encore : la dernière tendance, c’est le contact avec les défunts, l’arnaque qui fait pleurer dans les chaumières.
« Quelqu’un veut te parler, c’est une femme… elle te regarde en ce moment. » Le chat s’emballe, les cœurs pleuvent. L’émotion est totale. Et juste après, la phrase qui bascule tout :
« Clique sur mon lien, je t’envoie son message. »
Sous le live, un lien PayPal, un site internet. Souvent entre 5 et 100 euros.
Le message du défunt n’existe qu’après paiement. Derrière la larme, un tunnel de conversion.
Cette promesse est désormais visible dans près d’un live sur cinq chaque soir.
En caméra cachée, TF1 (Sept à Huit, 28 septembre 2025) a filmé la même voyante
éclater de rire juste après le live : “Encore 300 € pour un fantôme qui n’existe pas.”
Résultat ? Des familles en deuil qui envoient jusqu’à 500 € par séance, persuadées d’entendre la voix d’un proche disparu.
Selon la DGCCRF, ces pratiques relèvent clairement de l’escroquerie émotionnelle :
12 condamnations ont été prononcées en 2025, certaines assorties de peines allant jusqu’à trois ans de prison.
Ces “retours d’affection” et “contacts d’outre-tombe” ne sont pas seulement des escroqueries affectives : c’est une industrie du mensonge, calibrée pour exploiter la détresse.
Et TikTok, malgré les signalements (Le Parisien, 3 novembre 2025), laisse tourner :
tant que les Roses virtuelles coulent à flots, les lives restent en ligne.
Les sincères piégés par le système
Mais il serait injuste de tout mettre dans le même panier.
Sur TikTok aussi, il y a de vrais voyants, des praticiens sincères qui parlent de leur don, qui partagent leur expérience, ou qui cherchent simplement à se faire connaître.
Certains y voient une façon de rendre la voyance plus accessible, de démystifier une pratique souvent mal comprise.
Leur démarche n’a rien d’une escroquerie : ils tentent juste d’exister dans un espace où tout se mesure en secondes et en vues.
Le problème, c’est que l’outil les déforme malgré eux.
Le rythme imposé par l’algorithme ne laisse pas de place à la nuance ni à l’écoute.
Et c’est ainsi que, même animés de bonnes intentions, beaucoup finissent absorbés par une logique de performance : plus d’audience, plus d’émotion, plus d’effet.
Dans ce monde calibré pour l’instantané, même la sincérité finit par se compresser pour tenir en quinze secondes.
Les blessures invisibles : le prix psychologique du mensonge
Les blessures invisibles : l’isolement, l’endettement et le repli qui ne s’affichent pas dans le chat
Derrière l’écran qui s’éteint à 2 h du matin, les dégâts ne s’effacent pas d’un swipe. Ce que les lives de voyance TikTok laissent, ce n’est pas seulement un portefeuille vidé : c’est une solitude aggravée, un endettement sournois et un repli sur soi qui s’installe durablement, loin des caméras et des roses virtuelles.
Commençons par l’isolement. Ces sessions nocturnes deviennent un rituel solitaire : on attend le live seul dans sa chambre, on envoie un prénom seul, on reçoit une phrase générique seul. Les amis ? Les appels ? Les sorties ? Reportés, annulés, oubliés. Une étude de l’Observatoire des Usages Numériques (novembre 2025) révèle que 42 % des spectateurs réguliers déclarent avoir réduit leurs interactions réelles de plus de 30 % depuis qu’ils suivent ces flux. Le chat saturé donne l’illusion d’une communauté ; en réalité, il n’y a qu’un monologue face à un écran. Le lendemain, la fatigue accumulée rend les échanges humains encore plus difficiles : on se lève tard, on évite les regards, on préfère rester connecté « au cas où il y aurait un signe ». L’isolement devient physique, puis psychique : on ne parle plus à personne de sa détresse, parce qu’on croit l’avoir confiée à une voyante qui « sait déjà ».
Vient ensuite l’endettement, discret mais implacable. Les gifts paraissent anodins – 0,99 € la rose, 4,99 € le lion – mais s’additionnent en cascade. Une enquête de 60 Millions de Consommateurs (octobre 2025) a suivi 50 profils « réguliers » : moyenne de 180 € dépensés par mois, souvent prélevés sur des comptes étudiants, des salaires précaires ou des allocations. Pour les plus vulnérables ( adolescents avec carte bleue parentale, femmes au foyer en rupture ), cela vire au gouffre : prêts revolving contractés en secret, dettes cumulées sur plusieurs plateformes (TikTok + liens PayPal des « rituels privés »). Une jeune femme de 24 ans, interrogée anonymement par France Bleu, avoue avoir accumulé 1 200 € de découvert en trois mois pour « financer un retour d’affection » qui n’est jamais venu. L’endettement n’est pas qu’économique : il génère honte, mensonges aux proches, fuite en avant (« encore un dernier gift et ça marchera »). Le piège est parfait : plus on est endetté, plus on a besoin d’un « signe » pour se rassurer, plus on dépense.
Enfin, le repli sur soi, le plus silencieux et le plus destructeur. Ces lives ne résolvent rien ; ils reportent la confrontation avec la réalité. Une rupture ? On attend le « retour imminent » au lieu de faire son deuil. Un deuil ? On guette le « message du défunt » au lieu d’accepter la perte. Résultat : paralysie décisionnelle.
Perte d’appétit pour la vie réelle, abandon progressif des projets (études, travail, relations), idéalisation d’un futur fictif dicté par des cartes virtuelles. Des psychologues cliniciens contactés par Le Figaro Santé parlent d’un « syndrome de l’attente suspendue » : la personne reste figée dans l’espoir, incapable d’avancer, car toute action réelle risquerait de contredire la prédiction. Le monde extérieur devient menaçant ; le live, refuge. Et quand les prédictions s’effondrent, le choc est d’autant plus violent : culpabilité (« j’ai mal interprété »), désespoir (« même l’univers m’abandonne »), repli total.
Ces blessures ne laissent pas de trace visible : pas de bleu, pas de facture affichée, pas de témoignage public. Elles s’accumulent dans le silence d’une chambre éclairée par un téléphone, dans les relevés bancaires cachés, dans les messages non envoyés aux amis. Elles transforment une simple curiosité nocturne en fracture lente de l’existence.
Chez KLD Voyance, nous voyons chaque jour les dégâts de ces pratiques. C’est pourquoi nous refusons catégoriquement le modèle TikTok : pas de live, pas de gifts, pas d’attente suspendue. Une consultation chez nous, c’est une écoute réelle, un échange confidentiel, une parole qui aide à affronter la réalité, pas à la fuir. Parce que la vraie guidance ne vous isole pas : elle vous ramène à vous-même et aux autres.
